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CHRONIQUES

04/03/11 

PERE UBU

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ALBUM: THE MODERN DANCE

Chroniquer un album aussi mythique que « The Modern Dance » du groupe américain Pere Ubu n'est pas chose aisée. Et ça l'est encore moins pour un rédacteur né 13 ans après la sortie de celui-ci, qui date déjà de 1978. Pere Ubu viendra jouer la totalité de cet opus, qui a largement contribué à leur renommée, le 13 mai à Bruxelles dans les cadres des Nuits Botanique. L'occasion était rêvée pour sortir du cycle des chroniques ordinaires afin de donner ce qui peut être appelé un petit cours d'histoire, tout en proposant mon regard d'adolescent du XXIème siècle sur ce que d'aucun diront « je n'ai pas connu ».

Pere Ubu, qu'est-ce ? En résumé, un groupe majeur du mouvement post-punk, malheureusement oublié par beaucoup, au profit de Killing Joke qui a su s'imposer comme symbole du genre, grâce au charisme incontestable de Jaz Coleman et, ne soyons pas de mauvaise foi, à la qualité et au renouvellement quasi permanent des disques du groupe. Toutefois, notons que Pere Ubu n'a jamais cessé son activité et a 16 albums à son actif (sans compter les live) parmi lesquels le dernier en date, « Long Live Père Ubu ! » est sorti en 2009. Qu'est-ce qui a empêché le groupe de rester ancré dans la mémoire musicale collective ? Sans doute la discrétion médiatique du groupe et de son leader David Thomas, ainsi que l'hyperactivité de celui-ci dans de nombreux autres projets, notamment théâtraux. Sans doute aussi le désir de rester fidèle à son éthique originale et à ne pas sombrer dans un opportunisme douteux. Rappelons et citons les principes fondateurs du groupe : « la méthode (…) est de ne jamais faire d'audition, n'attendre personne, ne jamais rechercher le succès, choisir la première personne entendue, utiliser la première idée venue, mettre ensemble des personnes uniques,  des gens uniques qui joueront une musique unique même s'ils ne savent pas comment jouer, retarder autant que possible les Facteurs Centrifuges de Destruction puis appuyer sur le bouton ! ». Il ne me reste plus qu'à espérer que cet article donne envie aux jeunes (et aux moins jeunes qui sont passés à côté de cet épisode) de découvrir cette œuvre qui fut un grand tournant dans l'histoire du post-punk, mais aussi, et j'ose le dire, de la musique.

« Non-alignment Pact », nous met l'eau à la bouche avec déjà une présentation des ingrédients qui feront la recette réussie de cette danse moderne : une basse mise à l'avant-plan, une voix sans retenue, expressionniste à souhait, une démarche résolument bruitiste et expérimentale et un texte mariant ce qui ressemble à de l'écriture automatique surréaliste avec un ton rock'n'roll. Père Ubu reprend la fougue et la contestation punk pour la remettre au nouveau goût avec une conscience plus calme due au recul. On le remarquera dans « The Modern Dance », morceau qui donne son titre à l'album et qui nous plonge dans l'ambiance d'un Honky-tonk rock'n'roll tentant de résister contre l'invasion technologique avant de se faire engloutir par un raz-de-marée de bruits désordonnés. Dans « Laughing » des instruments à vent viennent outrageusement se moquer de nos oreilles qui en redemandent.

« Street Waves » semble plutôt se rapprocher de l'esprit pré-heavy de Steppenwolf. Le chant est toujours aussi prenant et efficace et la basse continue de conquérir nos membres, note après note. « Chinese Radiation » se décompose en trois temps, le premier étant l'introduction minimale, qui nous emporte dans une atmosphère étrange de laquelle on peut difficilement décrocher, avant de partir, dans un deuxième temps, dans un son plus punk voire chaotique, soutenu par des cris et applaudissement frénétiques. Enfin, la troisième et dernière étape de cette envolée radioactive est la cassure subite des trente dernières secondes pendant lesquelles David reprend doucement les paroles principales au son d'un doux piano maltraité en fond par des percussions déstructurées. « Life Stinks » se présente comme un jeu de rimes absurdes coupées de cris délirants et d'instruments hurlants à la folie joyeusement dévastatrice. Avec « Real World », nous nous retrouvons encore une fois face à de la pure expressivité mise en scène et interprétée par un David Thomas qui sur-joue magistralement son rôle de chanteur-conteur, marchand, non pas de rêve, mais de réalité électriquement anamorphosée.

« Over my head » fait penser à du Einstürzende Neubauten trempé dans quelque sauce blues. Dans « Sentimental Journey », comme un peu partout dans « The Modern Dance », se retrouve l'esthétique de la femme fatale, hantise continue. Ça et là, des objets sont brisés. Il s'agit de la chanson la plus longue de l'album, mais peut-être aussi la plus totale, la plus jusqu'au-boutiste malgré son apparence dépouillée. Les sons électroniques expérimentaux nous rappellent que cette technologie est, en 1978, toujours marginale et qu'on est plus proche ici des expériences de John Cage que de l'électro tapageuse actuelle.

« Humor Me » cloture la boucle et me donne l'occasion de conclure ma prétentieuse chronique en rebondissant sur le « It's just a joke, man ! » scandé plusieurs fois. Parce que durant tout mon exposé, j'ai abusé de termes pompeux d'historien de l'art. D'abord pour rester fidèle à mon domaine d'étude (vous saurez tout…) mais surtout parce que c'est dans une tradition d'art moderne, conceptuel, qu'il faut inscrire Pere Ubu. Pour dire vrai, on aurait plus vite tendance à placer le Pere Ubu entre Ernst, Munch, Pollock et Viola qu'au milieu de la scène musicale de la fin des années 70. Or, au-delà de ce bla-bla journalistique, il ne faut jamais perdre de vue que Pere Ubu est un groupe à ne pas prendre trop sérieusement. Pere Ubu ne jouent pas pour des gens graves et aigris fronçant le sourcil en remplissant leurs petits carnets. Ils jouent pour un public ouvert aux choses un peu différentes et prêts à prendre en plein cœur une flèche de pur rock'n'roll expérimental. Les gars, écoutez « The Modern Dance » comme un cadeau venu du passé, un cadeau qui s'apprécie dès la première écoute, immédiatement. Et je vous garantis que vous en ressortirez la respiration haletante, exaltée.

Site Officiel de Pere Ubu - Myspace de Pere Ubu

Plus d'infos sur leur concert aux Nuits Botanique.

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Post? par Quentin